INTERACTION ET INTERDEPENDANCE
Les espèces sont à
la fois dépendantes et en compétition, ce qui aboutit
à un équilibre fragile. L'incroyable biodiversité
de la grande forêt rend cet équilibre extraordinairement
complexe.
L'idée de base
est que chaque espèce si modeste soit-elle a son importance
dans l'équilibre général et constitue un maillon
d'une chaîne immense
Exemple :la pollinisation
:
La plupart des plantes à fleur de ces régions sont
totalement dépendantes des insectes, oiseaux et chauves souris
pour leur survie : la densité de la grande forêt rend
inefficace la pollinisation par le vent, sauf peut être pour
les très grands arbres dominants.
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Autre exemple : celui des fourmis
coupeuses de feuilles du genre atta (plus de 200 espèces).
Elles vivent en colonies comportant jusqu'à 5 millions d'individus.Elles
coupent les feuilles de certains arbres (pas tous
)et les emmènent
sous terre. Elles ''cultivent'' sur les feuilles un champignon dont
elles se nourrissent.
Le champignon n'existe pas ailleurs dans la nature. Il peut digérer
la cellulose des feuilles, ce dont la fourmi est incapable.
La fourmi ne peut pas vivre sans le champignon, qui n'existe pas
sans la fourmi
(Un
grand arbre, ''hymenaea courbaril'' a développé une
protection originale pour éviter d'être dépouillé
de ses feuilles par les fourmis atta : il contient des éléments
toxiques, non pas pour la fourmi, mais pour le champignon !)
L'impact écologique
des atta est considérable. Elles arrivent à former
de véritables ''autoroutes'' de 20 cm de large sur le sol.
Des études ont montré qu'elles consomment à
elles seules autant de feuillage que tous les vertébrés
herbivores de la grande forêt.
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Dernier exemple, encore plus
fascinant :
Sur certains acacias vit une autre espèce de fourmi : pseudomyrmex
ferruginea.
Elle attaque systématiquement tout '' visiteur'' (insecte,
main humaine.) Mais aussi coupe avec ses mandibules les plantes
qui commencent à pousser sur ou au-dessus de l'arbre et sont
susceptibles d'affecter sa croissance.
En contrepartie, non seulement l'acacia a développé
des cavités pour abriter les fourmis, mais il sécrète
également un nectar pour les alimenter !
Une colonie de pseudomyrmex sur un arbre adulte peut atteindre 12000
individus
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MECANISMES DE DEFENSE
ET PHENOMENES DE MIMETISME
Chaque espèce ou presque
possède son prédateur, et chaque espèce a développé
des moyens de défense contre son prédateur.
Avant la fuite ou la
confrontation violente, un des principaux modes de défense
consiste à se rendre indécelable.
C'est justement ce qui fait que vous éprouvez cette impression
de vide en forêt.
Les phénomènes
de mimétisme sont fascinants :
.certaines espèces se camouflent pour échapper aux
prédateurs (mimétisme défensif)
.d'autres essaient de passer inaperçues des proies éventuelles
(mimétisme offensif )
. souvent les deux types de mimétisme sont présents
sur la même espèce
Un parfait exemple de mimétisme
défensif est donné par les phasmes, ces insectes qui
ressemblent à s'y méprendre à des brindilles.
Le mimétisme n'est jamais
absolu, il est toujours relatif au milieu ambiant de l'animal ou
à certains de ses éléments : le pelage du jaguar
par exemple, jaune ocellé de noir paraît criard sur
le ciment du zoo sur lequel est allongé le fauve.
Mais dans la forêt, croyez-moi, le camouflage est très
efficace.
La plupart des animaux terrestres
de la grande forêt sont virtuellement indécelables
S'ILS NE SONT PAS EN MOUVEMENT
Comment en sont-ils arrivés
à un tel degré d'adaptation à leur milieu ambiant
?
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C'est ce que tente d'expliquer la THEORIE
DE L'EVOLUTION DES ESPECES développée simultanément
dans la deuxième partie du 19e siècle par Charles Darwin et
Alfred Russell Wallace.
Tous deux ont longuement séjourné dans la zone amazonienne
et y ont trouvé de nombreuses sources d'inspiration.
Schématiquement, au sein d'une
même espèce, certains individus possèdent certaines
caractéristiques génétiques qui les rendent plus aptes
que les autres à survivre dans un milieu similaire : par exemple,
plus un animal est sombre moins il sera repérable sur un support
sombre. Dès lors, les individus plus sombres que les autres auront
un avantage
Etant moins susceptibles d'être vus par des prédateurs,
leur nombre aura tendance à s'accroître proportionnellement,
et le gène '' plus sombre'' à devenir dominant progressivement.
Cette évolution est parfois
''relativement '' rapide. Un des cas les plus connus est celui d'un papillon.
Suite à la révolution industrielle du 19e siècle et
les fumées qu'elle a générées, des exemplaires
de cette espèce originellement gris clair sont devenus presque noirs
!
En Amazonie cette adaptation peut être
tout à fait fascinante :
Témoin un cas extraordinaire
de mimétisme offensif : certaines petites araignées
s'alimentent exclusivement de fourmis. Pour cela, leur corps a évolué
pour ressembler à s'y méprendre à un de ces
insectes :
-Le cephalothorax (ensemble thorax/tête caractéristique
des arachnides) s'est scindé pour faire croire à l'existence
d'une tête
-la première paire de pattes a perdu sa fonction ambulatoire
pour simuler une paire d'antennes.
Ainsi, ces araignées peuvent passer inaperçues parmi
les fourmis.
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Autres cas, défensifs ceux-là,
de nombreux animaux inoffensifs imitent des espèces agressives ou
venimeuses
-certains papillons ressemblent à s'y méprendre à des
guêpes
-certaines couleuvres imitent à la perfection la livrée spectaculaire
d'une espèce de serpent corail très venimeux
Il s'agit-là d'exemples relativement
simples. Les phénomènes de mimétisme peuvent être
beaucoup plus complexes dans leur relation avec le milieu ambiant.
Une étude sur les papillons au Pérou a déterminé
qu'aux différentes strates de la grande forêt correspond une
couleur d'aile :
-du sol à 2 m : zone ''transparente'' : ailes transparentes veinées
de noir
-de 2 à 7 m : zone ''tigrée'' : ailes tigrées de jaune,
marron, noir, rouge
-de 7 à 13 m : zone ''rouge'' : le rouge est dominant
-de 15 m à 30 m :zone ''bleue''
-de 30 m à la canopée : zone ''orange''
Il s'agit de tendances dominantes bien
sur, cela ne veut pas dire qu'on ne trouvera pas de papillons bleus près
du sol ! Mais l'hypothèse défendue, c'est que chaque ''complexe''
ou ''couleur'' correspond à un camouflage optimal du papillon en
vol, en fonction de l'éclairage dans les différentes strates
de la forêt.
Plus rarement, à l'opposé
du mimétisme, certaines espèces ''choisissent'' délibérément
d'attirer l'attention par des couleurs vives, généralement
à base de jaune, d'orange et de rouge, pour avertir le prédateur
du danger qu'elles représentent en cas d'attaque. Ce sont généralement
des espèces vénéneuses ou venimeuses. Il s'agit dans
ce cas de faire appel à la mémoire génétique
de l'agresseur.
Deux splendides exemples :
-serpents
corails (micrurus sp)
-grenouilles
dendrodates (leur peau sécrète un venin extrêmement
actif)
Malheureusement pour l'amateur de photos, serpents corails et dendrobates
sont de timides créatures, qui se cachent la plupart du temps dans
la litière humide de la forêt ou sous des morceaux de bois
mort.
Enfin, certains batraciens, reptiles
ou insectes exhibent des couleurs ''flash'', visant à ''aveugler'',
c'est à dire à impressionner momentanément un agresseur
et lui donner le temps de fuir. ''Agalychinis callydrias'', une petite grenouille
arboricole d'Amérique centrale a ainsi de grands yeux rouges vifs.
Elle se tient normalement sur les feuilles, les yeux fermés. Lorsqu'elle
les ouvre, l'effet est étonnant !
Pour conclure sur le mimétisme,
il y a des mystères !
Prenez le cas des grands aras,
apparentés aux perroquets.
-ils sont de grande taille et très colorés
-ils font partie des rares animaux bruyants de la grande forêt.
Je dirai même TRES bruyants !
Ces animaux ne faisant aucun effort pour se cacher, j'en avais personnellement
conclu qu'ils n'avaient pas de prédateur. A tort ! J'ai assisté
un jour au ''meurtre'' d'un de ces oiseaux par un grand aigle harpie.
Tout cela est fascinant, me direz vous, mais un peu décourageant.
Il n'y a donc aucune chance d'apercevoir des animaux sauvages dans
la grande forêt ?
Si, bien sûr, mais IL FAUT METTRE TOUTES LES CHANCES DE SON
COTE EN APPRENANT A SE COMPORTER DE MANIERE ADEQUATE DANS LE MILIEU
AMBIANT :
Vous savez maintenant qu'une marche dans la grande forêt n'a
rien d'un safari.
Toute attitude passive sera sanctionnée par l'échec.
Il vous faudra rester concentrés, faire de gros efforts d'attention
Tout d'abord, il y a les HEURES PROPICES, et celles qui ne le sont
pas. En pleine chaleur les animaux limitent leurs déplacements.
Préférez le matin, ou la fin de l'après-midi.
Les observateurs d'oiseaux le savent, il faut savoir se lever tôt.
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Apprenez à utiliser tous vos
sens, particulièrement l'ouïe et l'odorat. Pour toutes les raisons
exposées auparavant, il est rare de localiser directement un animal
par la vue.
ETRE A L'ECOUTE EST
FONDAMENTAL : Tout d'abord, quelques espèces si difficiles à
voir de prime abord, peuvent être localisées par leurs cris.
J'ai déjà parlé des aras ; de fait, les cris discordants
de tous les perroquets s'entendent d'assez loin.
Les sifflements stridents des grands toucans sont facilement reconnaissables.
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Un petit oiseau, le piha hurleur
(lipaugus vociferans), a un chant (si on peut dire !) très
caractéristique que vous entendrez très souvent
les
mâles passent les trois quarts de leur temps à appeler
les femelles.
Un des sons les plus caractéristiques
de la grande forêt est le cri des singes hurleurs ( alouatta
sp) : Il rappelle un peu le bruit du vent lors d'une forte tempête.
Ces hurlements portent à des kilomètres, et sont très
impressionnants quand on est près. Ils sont dus à un
genre de goitre que possèdent les singes qui fait office de
caisse de résonance.
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Chez
les insectes le chant des innombrables espèces de cigales peut être
assourdissant
De
nuit, les batraciens prennent le relais, certaines espèces peuvent
vous faire passer des nuits blanches : je bivouaquais un jour sous grand
arbre dans le sud du Venezuela. Peu après le coucher de soleil, commença
un véritable concert de grenouilles arboricoles au-dessus de nos
têtes. Un chef indien ye'kwana qui m'accompagnait se leva de son hamac,
réquisitionna un jeune indien et lui montra l'arbre. Le lendemain
matin, le garçon nous montra fièrement les coupables : il
ne les avait pas tuées, mais les avait capturées et les avait
soigneusement ligotées avec de fines lianes. Le chef lui ordonna
de libérer les bestioles
. Cette petite anecdote vous donne
par ailleurs une idée de la psychologie des indiens sur laquelle
je reviendrai ultérieurement.
Il s'agit là de sons qui passent
difficilement inaperçus. Dans la plupart des cas, il vous faudra
dresser l'oreille à l'écoute de bruits tenus
.Un bruissement
de feuilles mortes, ce peut être un reptile sur le sol, un craquement
au-dessus de vous, un singe dans un arbre.
LES AUTRES SENS
L'UTILISATION DE L'ODORAT EST EGALEMENT
FONDAMENTALE
Certaines espèces dégagent
des odeurs fortes, soit directement comme les cochons sauvages, soit indirectement,
par leur urine, comme les singes hurleurs et les félins qui marquent
ainsi leur territoire.
La seule fois où j'ai rencontre un tatou géant (priodontes
maximus), espèce rare et nocturne pouvant atteindre 60 kg, je l'ai
surtout entendu se traîner sur les feuilles, et senti ! .L'animal
empestait, littéralement !
LA VUE
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Pas la peine d'écarquiller
les yeux en regardant ce qui tient lieu d'horizon, votre chance d'apercevoir
directement un animal est pratiquement nulle, mais attachez-vous à
repérer des traces. Quand je parle de traces je ne parle pas
uniquement de marques dans le sol mais de manifestations secondaires
de la présence d'animaux :
-Le feuillage qui bouge quelques mètres devant vous
-Des branches qui remuent dans un arbre en face. C'est pour cela qu'il
est plus facile de voir des singes s'il n'y a pas de vent
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De la même façon,
si vous passez dans un endroit où le sol est jonché
de fruits, regardez bien dans les arbres et autour de vous, il y a
de bonnes chances qu'un animal frugivore, mammifère ou oiseau,
se cache tout près.
Corrélativement, pendant les marches :
-Evitez de parler à votre guide à tout bout de champ.
C'est lui qui, la plupart du temps, arrivera à repérer
les animaux que vous verrez. S'il est obligé de se retourner
toutes les 30 secondes, il ne pourra pas faire son travail correctement.
Il va sans dire que si de votre côté vous apercevez,
entendez ou sentez quelque chose d'intéressant, il faut en
faire profiter votre groupe, mais gardez les questions d'ordre général
pour plus tard, au besoin notez les sur un petit carnet.
-Les marches en forêt se font généralement sur
des layons étroits, en file. Votre guide doit toujours marcher
en premier, car c'est lui qui est le plus à même de repérer
un serpent lové sur le chemin.
-Ne vous tenez pas trop près de lui pour ne pas le gêner,
surtout s'il doit utiliser fréquemment sa machette, mais ne
vous positionnez pas trop loin non plus. La vision d'un animal est
généralement furtive, quelques secondes ou moins (je
ne parle pas des invertébrés.).
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Si vous êtes
trop loin on vous dira, ''je viens de voir un agouti mais il s'est
échappé rapidement''
ou
''tu viens de rater un groupe d'atèles'' et autres réflexions
frustrantes car vous n'aurez rien vu.
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Si vous êtes nombreux,
organisez des rotations entre vous pour que ce ne soient pas toujours
les mêmes qui soient derrière le guide.
-Soyez patients, ne vous découragez pas, essayez de rester
concentrés, même si la marche est longue. A ce sujet,
je me souviens d'un guidage que j'ai effectué pendant trois
jours et au cours duquel nous n'avions rien vu. Le dernier soir, j'ai
proposé une marche de nuit. Même chose, rien pendant
deux heures. En revenant à l'endroit où nous avions
laissé notre pirogue je me trouve nez à nez avec un
superbe puma, pas intimidé du tout. J'ai fait des signes désespérés
vers l'arrière pour essayer d'attirer l'attention de mes compagnons
de marche mais ils étaient à 50 bons mètres en
train de se raconter, je suppose, leur dernier week-end à la
plage. Quand ils sont arrivés à ma hauteur, l'animal
avait évidemment disparu !
Mon expérience personnelle
m'a montré que, dans un groupe, ce sont toujours les mêmes
qui voient quelque chose et toujours les mêmes qui ne voient
rien !
Rappelez-vous cependant que même avec la meilleure volonté
du monde, le facteur chance est important et que le fait d'avoir payé
un tour organisé ne signifie pas que la rencontre avec l'animal
est garantie...
La grande forêt, c'est
surtout une ambiance, c'est au zoo que vous verrez le mieux les animaux
de près !
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